Les mandats locaux peuvent présenter des risques pour ceux qui les exercent. Ainsi, arrive-t-il que dans certaines circonstances les élus se retrouvent poursuivis pour délit de prise illégale d’intérêts, ou d’octroi d’avantage injustifié. Souvent méconnues, ces infractions peuvent aboutir à une condamnation pénale si aucune précaution n’est prise. Elles sont conçues pour tous les types de mandats locaux, mais nous les examinerons sous l’angle des élus municipaux.
Définition
Le délit de prise illégale d’intérêt est défini à l’article L. 432-12 du nouveau code pénal :
« Le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir et conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge de la surveillance, de l’administration, de la liquidation ou du paiement ».
Ce délit, conçu dans un but de prévention et de dissuasion, incrimine la confusion des intérêts privés des élus et les intérêts de la commune.
Personnes pouvant être inculpées de prise illégale d’intérêt
Le maire n’est pas le seul à pouvoir être poursuivi pour cette infraction. D’autres personnes peuvent être amenées à en répondre, notamment :
- les adjoints ou les conseillers municipaux agissant en tant que suppléant du maire, ou dans le cadre de leur délégation de fonction, ou pour des affaires les intéressant personnellement,
- les fonctionnaires communaux, à condition qu’ils aient participé à la préparation de l’acte en cause,
- les proches et les membres de la famille de l’élu, au titre de complices de la prise illégale d’intérêt (NB : attention, le complice de l’infraction est sanctionné par les mêmes peines que l’auteur de l’infraction. C’est ce que prévoit l’article L. 121-6 du nouveau code pénal : « Sera puni comme auteur le complice de l’infraction au sens de l’article L. 121-7 »).
Les sanctions encourues
- peine maximale de 5 ans d’emprisonnement, 75 000 € d’amende (art. L. 432-12) ;
- dans certains cas, le juge peut prononcer des peines complémentaires, qui ne sont pas à négliger [art. L. 432-17 du nouveau code pénal : interdiction des droits civils, civiques et de famille ; interdiction temporaire ou définitive d’exercer une fonction publique ou d’exercer l’activité professionnelle ou sociale à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ; confiscation des sommes ou objets irrégulièrement reçus ; affichage ou diffusion de la décision prononcée ; inéligibilité pendant une durée de cinq ans (art. L. 7 du code électoral)].
Régime dérogatoire des communes de moins de 3 500 habitants
Le code pénal prévoit des aménagements pour les petites communes. Ainsi, dans les communes de moins de 3 500 habitants, les maires, adjoints et conseillers municipaux délégués ou agissant en remplacement du maire peuvent chacun traiter avec leur commune pour :
- le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services, dans la limite d’un montant annuel de 16 000 €,
- acquérir une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle ou conclure des baux d’habitation avec la commune pour leur propre logement,
- acquérir un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle.
Les juridictions pénales exercent un contrôle très sévère des dérogations permises dans les petites communes. Les opérations de sous-traitance, par exemple, sont contrôlées strictement, (elles pourraient permettre à un élu local d’obtenir un contrat payé indirectement par la commune), de même que l’achat d’un bien dans un lotissement communal pour en faire la résidence principale d’un élu.
Les caractères généraux du délit
D’une manière générale, pour que le délit de prise illégale d’intérêt soit constitué deux conditions doivent être remplies :
- l’élu doit avoir au moment de l’acte, la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement de l’affaire dans laquelle il a pris intérêt. (La surveillance comprend des attributions telles que les missions de préparation, de proposition, de présentation de rapports ou d’avis en vue de la prise de décisions par d’autres personnes).
- l’élu concerné doit avoir pris, obtenu ou conservé un intérêt dans l’opération considérée. (La notion d’intérêt est vaste : il peut être constitué par la perception directe ou indirecte de bénéfices, ou d’avantages pécuniaires ou matériels. Mais l’intérêt peut aussi être d’ordre politique, moral ou affectif. L’opération peut être l’attribution de travaux, un marché, une mission avec rémunération, une vente, une location, un contrat de fourniture…)
Il est à noter que ce sont le maire et le premier adjoint qui sont le plus étroitement surveillés par les tribunaux. Ainsi, le maire ne peut s’exonérer de sa responsabilité même s’il a accordé des délégations à ses adjoints.
Le cas de l’élu chef d’entreprise
Les élus locaux, chefs d’entreprise, risquent plus encore que les autres de tomber sous le coup de la prise illégale d’intérêt, mais également d’un autre délit : celui d’octroi d’avantage injustifié.
Principe : rien n’interdit à un chef d’entreprise d’obtenir un mandat local.
En effet, ni le code général des collectivités territoriales, ni le code électoral ne prévoient d’incompatibilité entre les fonctions de chef d’entreprise et celles d’élu communal. Néanmoins, ce sont des élus « particuliers », puisqu’ils sont soumis à certains risques, et qu’ils doivent adapter leur action au sein du conseil municipal en conséquence.
Le risque de prise illégale d’intérêt du chef d’entreprise
Aux termes de l’article L. 432-12 précité, les chefs d’entreprises, élus locaux, doivent veiller à ne pas avoir, au cours de leur mandat, à diriger ou contrôler une opération (d’urbanisme, ou un contrat commercial, ou une délégation de service public, entre autres) qui intéresseraient leur propre entreprise.
La jurisprudence est sévère en la matière. Par exemple, il a été estimé qu’il n’est pas nécessaire d’être chef de l’entreprise qui bénéficie d’un contrat passé avec la mairie, pour être reconnu coupable de prise illégale d’intérêt. Ainsi, un simple employé d’une entreprise, peut commettre cette infraction, qu’il puisse être qualifié de gérant ou non (cass. 2 février 1998, bull. crim. n° 51).
Le risque d’octroi d’avantage injustifié
Cette autre infraction pénale, plus connue sous le nom de délit de favoritisme concerne l’élu, chef d’entreprise, participant à un appel d’offre. Il est défini à l’article L. 432-14 du nouveau code pénal :
« Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public […] de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ».
Les élus locaux ayant la fonction de chef d’entreprise, ou faisant partie des instances dirigeantes d’une société, doivent par conséquent être très prudents, dès que leur société ou leur entreprise aura à travailler avec la commune dont ils sont élus.
La jurisprudence peut déduire l’intention frauduleuse de l’élu en s’appuyant sur un faisceau d’indices : recours à la procédure d’appel d’offre restreint pour des raisons étrangères à l’objet du marché ; absence d’élection au sein de la commission d’appel d’offre ; demande de devis après ouverture des plis à une entreprise locale, gérée par un conseiller municipal, qui n’avait pas présenté d’offre ; poursuite d’une procédure irrégulière après avertissement du sous-préfet.
Le cas de l’élu responsable d’une association
L’article L. 432-12 du nouveau code pénal qui définit la prise illégale d’intérêt, vise expressément le cas des entreprises. Qu’en est-il des associations ? Un élu, maire ou adjoint, président d’une association, commet-il un délit s’il participe au vote d’une subvention de sa collectivité au bénéfice de l’association ?
Le délit de prise illégale d’intérêt suppose qu’il y ait surveillance de l’affaire et prise d’intérêt de la part de l’élu dans cette affaire. A priori, ces conditions ne semblent pas pouvoir être réunies dans le cas d’un élu qui prendrait part à une délibération octroyant une subvention à une association dont il est président, au moins lorsque celle-ci revêt un caractère non lucratif. En effet, la prise illégale d’intérêt implique qu’il y ait une « relation d’affaires » avec la collectivité, ce qui n’est pas le cas lorsqu’elle subventionne une association. En revanche, on peut penser qu’une association sous laquelle se cacheraient des activités de caractère commercial pourraient entrer dans le champ d’application de l’article L. 432-12.
En revanche, une délibération qui octroierait une subvention à une association et à laquelle participerait l’élu responsable de l’association, tombera certainement sous le coup de l’article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales, qui interdit aux conseillers municipaux de participer aux délibérations portant sur une affaire les intéressant personnellement ou comme mandataire. La notion de conseiller municipal intéressé suppose la réunion de deux conditions :
- le membre du conseil municipal doit avoir un intérêt personnel à l’affaire,
- et la participation du conseiller doit avoir une influence effective sur le résultat du vote.
Par conséquent, il est conseillé à l’élu qui serait président d’une association, sinon de s’abstenir systématiquement de prendre part aux délibérations ayant une incidence pour l’association, tout au moins de quitter la salle au moment du vote lui allouant une subvention, afin que les conseillers municipaux ne soient pas influencés.
Les précautions à prendre pour éviter la prise illégale d’intérêts
L’interprétation très stricte du code pénal par les juges et l’étendue de leur contrôle doit inciter les élus locaux, occupant des fonctions dirigeantes au sein d’une entreprise, à prendre certaines précautions lorsque se nouent des relations contractuelles entre l’entreprise et la commune.
- Il est recommandé aux élus, en particulier aux maires et adjoints, de dissocier clairement et sans ambiguïté, leur mandat local et celui de chef d’entreprise ou de responsable associatif.
- Afin d’éviter la condamnation pour prise illégale d’intérêt, l’élu devra veiller à ne pas avoir la direction ou le contrôle d’une opération susceptible de concerner sa propre entreprise.
En ce qui concerne le régime dérogatoire des communes de moins de 3 500 habitants, le code pénal prévoit que l’élu concerné doit s’abstenir de participer à la délibération du conseil municipal relative à la conclusion du contrat. Si c’est le maire qui bénéficie d’une dérogation, le conseil doit désigner l’un de ses membres pour représenter la commune dans l’acte à conclure. La délibération se tient publiquement (le huis-clos est écarté par le texte).
- Tout élu local ayant un intérêt dans une entreprise, et a fortiori le dirigeant, doit donc veiller à ne pas participer aux procédures d’appel d’offre, et plus généralement à toute décision concernant un marché public que son entreprise souhaiterait obtenir, afin de ne pas être accusé d’octroi d’avantage injustifié.